Saturday, October 16, 2010

L'impropre

Dégoût d'une nourriture, d'une saleté, d'un déchet, d'une ordure. Spasmes et vomissements qui me protègent. Répulsion, haut-le-coeur qui m'écarte et me détourne de la souillure, du cloaque, de l'immonde. Ignominie de la compromissions, de l'entre-deux, de la traîtrise. Sursaut fasciné qui m'y conduit et m'en sépare.

Le dégoût alimentaire est peut-être la forme la plus élémentaire et la plus archaïque de l'abjection. Lorsque cette peau à la surface du lait, inoffensive, mince comme une feuille de papier à cigarettes, minable comme une rognure d'ongles, se présente aux yeux, ou touche les lèvres, un spasme de la glotte et plus bas encore, de l'estomac, du ventre, de tous les viscères, crispe le corps, presse les larmes et la bile, fait battre le coeur, perler le front et les mains. Avec le vertige qui brouille, le regard, la nausée me cambre, contre cette crème de lait, et me sépare de la mère, du père qui me la présentent. De cet élément, signe de leur désir, "je" n'en veux pas, "je" ne veux rien savoir, "je" ne l'assimile pas, "je" l'expulse. Mais presque cette nourriture n'est pas un "autre" pour "moi" qui ne suis que dans leur désir, je m'expulse, je me crache, je m'abjecte dans le même mouvement par lequel "je" prétends me poser. Ce détail, insignifiant peut-être mais qu'ils cherchent, chargent, apprécient, m'imposent, ce rien me retroune comme un gant, les tripes en l'air: ainsi ils voient, eux, que je suis en train de devenir un autre au prix de ma propre mort. Dans ce tranjet où "je" deviens, j'accouche de moi dans la violence du sanglot, du vomi. Protestation muette du symptôme, violence francassante d'une vonvulstaion, inscrite certes en un système symbolique, mais dans lequel, sans vouloir ni pouvoir s'intègrer pour y répondre, ça réagit, ça abréagit. Ça abjecte.

"L'approche de l'ajection" dans Pouvoirs de l'horreur: essai sur l'abjection par Julia Kristeva. pgs. 10-11.

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